Cette année, dans la catégorie du roman, le lauréat du prix Éthiophile est :
GAUZ avec Camarade Papa
aux éditions Le Nouvel Attila
Commentaire de Maryse Condé, écrivain
« Tupi or not Tupi, that is the question » écrivait Oswaldo de Andrade en 1924.
Dans son Manifeste Anthropophage, le Brésilien ne faisait pas seulement une savoureuse plaisanterie littéraire. Il répondait à des questions fondamentales : comment survivre à la colonisation, comment revivifier un imaginaire émacié par des années de méconnaissance et de mépris, en un mot comment parvenir à une créativité vigoureuse et originale ?
Gauz répond à sa manière à ces questions. Car Camarade Papa n’est pas seulement un regard sur le passé, une restitution de l’époque où la France incarnée par Treich-Laplène et Binger installait son pouvoir en Côte d’Ivoire. C’est un jugement humoristique et personnel. Comme Gauz appartient à la nouvelle génération d’écrivains africains, cela signifie que la saison des doutes sur soi est révolue et que s’ouvre une ère de foi et d’audace. Aussi tous avec ensemble, nous lui disons : « Merci Gauz, ce que tu fais nous plaît ».
Discours de Pierre Brunel lors de la remise du prix au Café Procope
Gauz est le nom d’écrivain d’Armand Patrick Gbaka-Brédé. Il est déjà l’auteur d’un roman qui a été apprécié, Debout-Payé, publié chez le même éditeur, le Nouvel Attila, qui fête en 2019 ses dix ans. Ce nouveau roman Camarade Papa frappe immédiatement par son originalité.
La dédicace introduit cette expression « le compte rendu rieur ». Et Gauz a assurément beaucoup d’esprit. Mais le sérieux l’emporte sur le rire. « Camarade Papa » n’est pas tant un nom affectueux qu’une appellation politique (comme au temps de Staline). Et ce sont des problèmes importants qui sont abordés, en particulier pour l’histoire de la Côte d’Ivoire, entre une première date, 1893, date officielle de la création de la colonie française, et une date bien plus tardive, qui apparaît dans la dernière page, 1936, l’année du Front populaire.
A la première période se rapporte l’aventure du premier des deux personnages principaux, dont le nom ne sera révélé que dans la dernière page, Maxime Dabilly (1936 est l’année de sa mort). On découvre aussi à la fin le nom du second personnage, Nanan Alloua-Treissy. Le livre est composé de manière subtile dans un récit où alternent les aventures en Côte d’ivoire de ces deux jeunes garçons venus l’un de France, l’autre d’Amsterdam.
Leur voyage est évoqué, et surtout leur arrivée à Grand Bassam, avec l’évocation des « rouleaux de brisants », ce que les premiers marins blancs ont appelé la « barre de Guinée ». Ces descriptions sont magnifiques, comme le sont aussi celles de l’intérieur du pays.
Les deux récits, entrelacés subtilement, font revivre des moments importants de l’histoire du pays, ainsi que des figures historiques. Mais surtout les personnages principaux sont frappants, émouvants, attachants, et le lecteur découvre avec eux les mystères de la Côte d’Ivoire.
Le langage est neuf, avec des jeux sur les mots, mais aussi des créations subtiles, souvent plaisantes, qui concourent au très grand plaisir du lecteur. Gauz a assurément inventé un style romanesque. Cet écrivain aussi inventif qu’attachant méritait pleinement le prix Ethiophile.
Les finalistes du Prix Éthiophile étaient :
Vert Cru de Touhfat Moutare aux éditions Komedit
Camarade Papa de Gauz aux éditions Le Nouvel Attila
Le Livre d’Amray de Yahia Belaskri aux éditions Zulma
Je suis seul de Beyrouk aux éditions Elyzad
Frère d’âme de David Diop aux éditions du Seuil
La remise du Prix a eu lieu au Café Procope, suivie d’un cocktail
le samedi 21 septembre 2019